PROLOGUE
Charlie « Chase » Rhodes
C'est drôle, quand on est gosse, on croit avoir tout compris à la vie. On est certain de savoir ce qu’on deviendra et fera plus tard. Et pourtant, on n’arrive pas à s’imaginer en tant qu’adulte. Je veux dire, les adultes sont des « vieux ». Et ils disent et font constamment des conneries qu’on est sûr de ne jamais dire ou faire.
Quand je pense à toutes les fois où j’ai prononcé ces mots : « je ne ferai/dirai jamais ça », ça me met mal à l’aise. Parce que vous savez quoi ? C’est tout à fait le contraire qui s’est produit.
Ce matin même, quand je m’apprêtais à emmener les enfants à l'école et qu'ils se battaient entre eux pour une spatule - ouais, je sais - je leur ai dit de ne plus s’adresser la parole l’un à l’autre. Si si, je vous assure. Voilà ce que je leur ai crié : « Bobby, Stephi ! Posez immédiatement cette spatule et allez m'attendre dans la voiture. Et je ne veux pas vous entendre vous dire un mot l'un à l'autre ! C’est clair ? » Euh, oui, excellente leçon de vie : n’adresse plus la parole à ton frère/ta sœur.
C'était pas beaucoup plus futé que ma réponse par défaut super utile : « parce que c’est comme ça ». « Pourquoi je dois manger les petits pois ? Je déteste les petits pois. » Et là, je me dis que, moi aussi, je détestais les petits pois quand j'avais ton âge, gamin. D’ailleurs, je ne les aime toujours pas. J’attends juste que tu ailles au lit pour pouvoir manger de la glace directement dans le pot. Mais je réponds : « Parce que c’est comme ça, Bobby. Maintenant, mange tes petits pois. »
Donc, oui, je fais et dis toutes les choses que j’étais persuadé de ne jamais faire et dire. Mais vous savez ce qui est dingue, dans tout ça ? Je suis heureux. Je veux dire que je suis foutrement méga heureux ! Et à mon avis, quand on nage en plein bonheur comme ça, c’est important de documenter sa vie.
Heureusement, l’Association Parents-Professeurs vendait des albums de scrapbooking pour collecter des fonds, l'automne dernier. Parce que, quand j'ai décidé de devenir une ménagère de banlieue, on m'a dit qu'il y avait deux exigences : apprendre à faire du scrapbooking et avoir un vagin. J’étais foutu pour la deuxième, évidemment. Je veux dire, les pulls roses et les jeans taille-basse blancs me vont mieux qu’à certaines femmes-trophées aux nibards siliconés les plus chers du marché, mais... avoir un vagin ? Merci, mais non merci. Je suis plutôt attaché à ma bite. Cela dit, j'ai toujours été créatif. Attendez, j'ai été danseur et chorégraphe pendant des années ! J'étais donc sûr de pouvoir manier les ciseaux et les tampons en forme d’étoile sans problème.
Alors, voilà où j’en suis. On est vendredi matin et il est 8h30, une heure à laquelle, autrefois, j’aurais été en train de faire la grasse mat’ après avoir pris une cuite la veille au soir. Sauf que là, je suis assis dans ma cuisine jaune vif, à la table ronde en bois que j’ai achetée dans un magasin d'antiquités génial qui ouvre seulement un week-end par mois. Je suis toujours là à l’ouverture des portes, sans faute. Bref, je suis assis à ma table, en train de boire un latté (au lait écrémé) sans sucre et avec double dose de caféine (non je plaisante, mais si seulement c’était une option !) et je suis en train d’organiser un album pour documenter ma vie. Celle que je ne m’attendais pas du tout à mener. Celle que j’ai toujours voulu avoir, sans en être conscient.
Vous êtes perdus ? Eh bien, je vais tenter de tout vous expliquer.
Oh, et ne pas paniquez à cause des flashbacks, OK ? Essayez de vous imaginer que je vous raconte une histoire du début à la fin, avec quelques commentaires au milieu. Tout va bien se passer, je vous le promets. Il vous suffit de bien me suivre.