— Personne n’aurait rien pu faire.
Jason Garcia baissa le menton en signe d’acquiescement, sans ralentir le pas ou regarder l’anesthésiste qui marchait à côté de lui.
— L’aorte thoracique du patient a été sectionnée. Son artère coronaire lacérée. Et il avait plusieurs contusions pulmonaires. Personne n’aurait pu survivre à ça. Je ne comprends même pas comment il a réussi à survivre assez longtemps pour se retrouver sur la table d’opération.
Entendre le Dr Mason lui faire le récit des blessures que le patient avait souffert lorsque sa Prius était entrée en collision avec une Range Rover filant à 128 km/h sur une route glissante à cause de la pluie de ce début du mois de Septembre l’irrita au plus haut point. Jason voulut lui dire que comme c’était lui, le chirurgien cardiaque qui s’était occupé de la victime, il était présent dans la salle d’opération et n’avait donc pas besoin qu’on lui donne des détails sur les blessures. Mais comme il n’avait pas envie de dire ou de faire quoi que ce soit qui risque d’allonger la conversation, il se contenta de pousser un petit grognement.
— Je sais combien il est difficile de perdre un patient, dit le Dr Mason en posant une main sur l’épaule de Jason dans un geste qui se voulait probablement rassurant, mais qui ne l’était pas. J’ai terminé, moi aussi. Tu veux aller boire un verre et en parler ?
Surpris par sa question, Jason tourna la tête pour l’observer. Et de quoi est-ce qu’ils allaient parler, selon lui ? Le patient était mort. Jason n’avait pas pu le sauver. Faire la conversation n’y changerait rien.
— J’ai des trucs à faire.
Jason fit un dernier pas vers les casiers des médecins, saisit la poignée de la porte et ajouta, « merci de proposer » avant de pénétrer dans la pièce. Le Dr Mason le suivit à l’intérieur.
— Oh. À cette heure-ci ?
Jason jeta un œil à la montre accrochée au-dessus des casiers et constata qu’il était minuit passé. Tard, mais il lui restait assez de temps pour se doucher, se changer, rouler jusqu’à un bar pas loin et draguer quelqu’un avec qui baiser jusqu’à en oublier sa journée. C’était devenu plus fréquent, ces derniers temps. La seule manière d’oublier que la vie qu’il menait n’avait rien à voir avec celle qu’il avait espéré avoir et pour laquelle il avait travaillé dur, était d’aller dans des bars, boire et baiser toujours un peu plus. C’était un cercle vicieux mais au moins, il se faisait sauter.
— Oui, à cette heure-ci, dit-il sans élaborer. (Il ouvrit son casier, ôta rapidement ses vêtements avant de les fourrer dans la poche avant de son sac.) Passe une bonne nuit.
Il se précipita vers les douches, faisant un signe de la main au Dr Mason par-dessus son épaule en guise d’au revoir.
Après avoir frictionné son corps et ses cheveux, Jason attrapa une des serviettes sur l’étagère et se sécha. À 36 ans, il était toujours en forme : ses bras étaient musclés et sa poitrine ainsi que son ventre étaient assez baraqués sous ses vêtements pour lui donner une belle allure. Des mèches argentées parsemaient ses cheveux noirs aux tempes et de petites rides s’étaient formées près de ses yeux marron mais les endroits où il se rendait étaient assez obscurs pour que personne ne s’en rende compte.
Même s’il ne faisait plus vingt ans et qu’on ne l’accaparait pas dans les bars, Jason n’avait généralement pas de problème à trouver ce qu’il voulait : un corps chaud pour le distraire pendant une heure ou deux avant de retrouver sa maison vide et d’attaquer une nouvelle journée de travail.
Il sauta dans sa voiture, prit la 15 et se dirigea vers les endroits qu’il aimait le plus fréquenter : les bars près du Strip. Les mecs qui étaient en ville pour des conférences suivaient invariablement la devise, « ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas » et sortaient dans le but de se faire sauter. Leur identité était souvent mystérieuse : un prénom sans nom de famille et très probablement inventé. On ne parlait pas de numéros de téléphone. Et les chambres d’hôtel, très bien placées, s’emplissaient et se vidaient rapidement.
Comme le trajet entre l’hôpital et le bar ne durait que dix minutes, Jason n’eut pas le temps de se clarifier l’esprit et encore moins de se débarrasser de la douleur pesante dans le creux de son estomac, mais il se sentait comme ça à chaque fois qu’il perdait un patient. Il se dit que quelques verres et une petite pipe lui changeraient les idées. Il sortit de sa Mercedes Classe-E noire décapotable, lissa son jean Oxford amidonné et entra dans le bar.
Lumières tamisées, odeur de musc, des hommes agglutinés autour d’un bar, en train de discuter ou de se commander des boissons et deux tables dans le coin occupées par des femmes célébrant un enterrement de vie de jeune fille : un vendredi typique, au Phoenix. Jason n’avait pas encore atteint le bar afin de commander son Coca-rhum habituel qu’un rire le perturba. Il n’était pas particulièrement fort mais la joie qui s’en dégageait surplomba le bruit dans la salle et attira son attention.
Lentement, Jason fit un tour sur lui-même, puis plissa les yeux et jeta un regard vers la foule, tentant de déterminer l’origine de ce son chaleureux. Il s’était à nouveau retourné presque complètement lorsqu’il l’entendit encore une fois. Il provenait des places assises entre le bar et la scène minuscule. Des hommes étaient entassés sur un sofa en cuir et la table devant eux était recouverte de verres vides. L’un d’entre eux essayait vainement de se lever mais ses amis ne cessaient de le tirer vers eux pour qu’il se rasseye.
Avant de réfléchir à ce qu’il était en train de faire, Jason marcha vers eux.
— Les gars, sérieusement, il faut que j’y aille, dit le type d’un ton amusé.
— Il est tôt ! cria un de ses amis.
Puis un autre, au même moment :
— Tu sors jamais avec nous !
Un troisième ajouta :
— C’est ton anniversaire, enfin !
— Il est presque 1h du matin. Je suis sorti avec vous ce soir. Et ce n’est plus mon anniversaire.
Il se releva, se tortilla pour échapper aux mains de ses amis et grimpa par-dessus leurs jambes.
— Quoi, même pas un bisou d’au revoir ? dit un homme du groupe.
Un autre se mit à faire des bruits de bisou exagérés. Le type roula des yeux et sourit.
— Merci pour la soirée. C’était cool.
— Allez, Abe ! Reste !
Il secoua la tête en se levant avec précaution, s’éloignant de la masse de corps emmêlés.
— Faut que je me lève tôt, demain.
Jason en avait assez entendu : il valait mieux qu’il se trouve quelqu’un d’autre avec qui baiser. Ce mec – Abe – en avait fini avec sa soirée. Mais avant que Jason n’aille voir ailleurs, Abe s’extirpa enfin de ses amis et Jason il put l’observer d’un peu plus près.
Ses cheveux étaient blonds et lisses, un peu trop longs, et soyeux. Ses yeux clairs surmontés de sourcils fins dominaient son visage. Il avait quelques centimètres de moins que Jason, qui mesurait 1,85m, donc probablement dans les 1,72m. Et il était jeune. Pas jeune au point qu’avoir une relation avec lui serait illégal mais Jason était sûr d’avoir au moins une décennie de plus que le jeune homme séduisant.
Son âge, son apparence et ses commentaires envers ses amis : tout indiquait à Jason qu’il risquait de se faire rejeter et que ça ne servirait à rien de perdre son temps. Et pourtant, quand Abe manqua de tomber en quittant le sofa, Jason fit un bond vers lui et le rattrapa.
— Attention, dit-il. Y a du monde ici, ce soir.
Abe s’agrippa à son T-shirt et cligna des yeux. Bleus. Ses yeux étaient bleus.
— Aucun problème.
C’était le genre de trucs qu’il disait automatiquement sans réfléchir ou sans vraiment le penser. Mais il le pensait réellement. En fait, c’était probablement la phrase la plus sincère qu’il ait prononcée aujourd’hui.
Après avoir retrouvé son souffle, Abe relâcha Jason et s’écarta d’un pas.
— Merci encore, dit-il en se frottant la poitrine.
Jason se retourna et observa ses fesses bien rondes sous son jean tandis qu’il s’immisçait dans la foule. Bon sang ! Il était canon. Vraiment canon. Et certes, ce n’était pas le genre de mec qui plaisait généralement à Jason mais seulement parce que son « genre » habituel était plutôt les types bourrés, désespérés et en chaleur.
Qui ne tente rien n’a rien, se dit-il en suivant l’homme visiblement sobre, probablement jamais désespéré et apparemment pas en chaleur qui se dirigeait vers la sortie.
Quand Jason retrouva Abe, ce dernier était en train de composer un numéro sur son portable, dans un coin relativement tranquille, près de la porte.
— Tu vas rejoindre quelqu’un ? lui demanda Jason.
Abe fit volte-face et planta son regard dans celui de Jason.
— Désolé, je ne voulais pas te faire peur.
— Tu ne m’as pas effrayé… juste surpris, sourit Abe, dont l’expression était aussi chaleureuse que son rire. Et non, ajouta-t-il en brandissant son téléphone. Il est trop tard pour rejoindre qui que ce soit. J’appelle un taxi.
— Je peux t’emmener.
— Vraiment ? dit Abe en arquant les sourcils. On se connaît ?
Jason secoua la tête.
— Alors pourquoi… (Abe baissa le menton puis releva les yeux en se mordant la lèvre inférieure.) Oh.
Jason n’était pas excité par la timidité car il avait rarement le temps ou l’envie de séduire ou d’enjôler, ou peu importe le terme employé pour dire « essayer de coucher avec quelqu’un. » Quand il sortait, il voulait trouver un mec qui était là pour la même chose que lui. Du sexe. Dedans, dehors et c’est fini. Simple, satisfaisant, et basta. Mais il devait admettre que le fait qu’Abe soit timide le rendait mignon et attirant.
— Je m’appelle Jason, dit-il en lui tendant la main.
Après avoir jeté un regard vers ses chaussures, Abe lui serra la main.
— Je m’appelle Abraham. Abe.
— Enchanté, Abe.
Ils se serrèrent la pince et au lieu de relâcher sa main, Abe entremêla ses doigts aux siens. Bien que Jason ne fût pas du genre à tenir la main à un mec, il n’essaya pas de récupérer son bras. Ils ne se trouvaient pas dans un endroit où quiconque risquait de le reconnaître, ce qui était un des avantages de ce bar. De plus, il voulait qu’Abe accepte sa proposition. Ils n’étaient même pas encore nus et pourtant, le petit corps musclé devant lui l’excitait déjà. Ça promettait d’être une excellente soirée…
Il sortit ses clés de sa poche avec sa main libre et les tint devant lui.
— Alors, tu dis quoi ? Ça t’intéresse ?
Abe l’étudia avec une grande attention, mais ses yeux ne se posèrent ni sur son corps, ni sur son entrejambe : les points d’intérêt habituels. Non, Abe observa son visage, ses lèvres et surtout, ses yeux.
— Ce n’est pas dans mes habitudes de faire ce genre de trucs, marmonna-t-il (vraisemblablement pour lui-même.) Mais on n’a qu’une vie, pas vrai ? (Il inspira profondément.) Tu as bu combien de verres ?
Surpris par sa question, Jason répondit :
— Aucun. Je viens d’arriver. Pourquoi ?
— Car je ne compte pas prendre plus de risques que nécessaire : passer la nuit avec un type que je viens de rencontrer me suffit. Si tu es soûl, on se prend un taxi.
— Je ne suis pas soûl.
— J’arrive pas à croire que je sois sur le point de faire ça… marmonna Abe. (Il acquiesça et redressa les épaules.) Ok.
Un « oui » était un « oui ». Désireux de quitter cet endroit avant qu’Abe ne change d’avis, Jason posa la main dans le bas de son dos et le guida hors du bar.
— Je suis garé là-bas, indiqua-t-il en désignant de sa clé de voiture la Mercedes, qu’il déverrouilla d’un « clic ».
La plupart des mecs avaient une réaction en voyant sa voiture. Ils le complimentaient parfois directement ou au moins, semblaient impressionnés. C’était la raison pour laquelle il avait acheté un véhicule qui coûtait plus cher que certaines maisons. Abe ne sembla rien remarquer.
— Chez toi ou chez moi ? dit-il une fois qu’ils furent à l’intérieur de la voiture. (Il sourit largement et fit bouger ses sourcils, malicieux.) J’aurais jamais pensé avoir l’occasion de dire ça un jour.
Jason se surprit à rire, ce qui était rare étant donné que la plupart des blagues le laissaient indifférent. Peut-être était-ce parce qu’il était complètement sobre.
— Chez toi. J’habite plutôt loin, mentit-il sans aucun effort. Tu crèches où ?
— Crèches ? répéta Abe en attachant sa ceinture.
Jason sortit la voiture de sa place de stationnement.
— Mhm. Quel hôtel ?
Abe secoua la tête.
— Oh. J’habite ici. Enfin, pas ici, mais à Henderson. C’est trop loin ?
Comme il était tard, le trajet ne leur prendrait qu’une demi-heure. Jason le savait, étant donné qu’il habitait lui aussi à Henderson.
— Non, t’inquiète.
Il s’éloigna du parking.
— Donc, dit Abe.
Jason lui jeta un regard en coin, puis reporta son attention sur la route.
— Je ne fais pas ça, habituellement. Tu veux me dire comment ça marche ?
Fronçant les sourcils, Jason réfléchit à une réponse – en vain.
— Non ? Très bien, dit Abe avant de s’éclaircir la gorge. On va parler de la pluie et du beau temps, alors. Tu as grandi à Vegas ou est-ce que tu as emménagé ici ?
Parler de la pluie et du beau temps. Voilà qui était nouveau. Mais bon, ils avaient du temps à tuer.
— J’ai grandi à Reno, lui apprit Jason. Et toi ?
— Je viens de l’Utah. Salt Lake. Mais je suis venu ici pour étudier.
Abe se mit à pérorer, parlant de son université (UNLV), de ses parents (divorcés), de sa sœur (quatre gosses, vivent en Idaho), de la raison pour laquelle il avait déménagé à Las Vegas (à cause du climat et du fait que les gens soient moins conservateurs que dans sa ville natale), et d’autres sujets tout aussi banals. Jason parvint à éviter les questions les plus personnelles avec un grognement, donc la conversation ne fut pas un supplice. En réalité, il devait admettre que c’était plutôt agréable. Écouter Abe papoter lui permit de se concentrer sur autre chose que son boulot ou l’état de sa vie, ce qui était relaxant. Avant même qu’il s’en rende compte, ils sortirent de l’autoroute et Abe commença à lui donner des indications sur l’itinéraire jusqu’à son appartement, agrémentées de petits commentaires sur cette partie de la ville.
— Passe devant l’épicerie. Elle est pas mal, hein ? Ils viennent de refaire tout le centre commercial et l’intérieur du magasin. Ils ont ajouté un bar à noix avec toutes sortes de noix différentes que tu peux moudre pour faire du beurre de noix frais. Les cacahuètes grillées au miel sont mes préférées. Je m’achète un bocal toutes les deux semaines.
Jason promena son regard sur Abe et son corps élancé.
— Ah oui ? dit-il avant de reporter son attention sur la route.
Abe haussa les épaules.
— J’ai un métabolisme rapide. Et puis, je nage.
— Et bien, ça te réussit, dit-il en lui lançant un coup d’œil appréciateur.
Cela devenait de plus en plus difficile de se concentrer sur la route. Il faisait désormais trop sombre pour déterminer si le compliment avait fait rougir Abe mais Jason le vit baisser la tête et se mordre la lèvre.
— Tourne à gauche après Roasted Bean. Oh, mon Dieu. Ils font les meilleurs chai lattes ici ! Je sais qu’on croit généralement qu’ils ont le même goût dans tous les cafés mais le leur est spécial. En plus, tu peux te refaire servir à moitié prix et ils ont plusieurs canapés et chaises super confortables. J’ai passé beaucoup d’après-midis et de soirées le weekend à squatter là-bas, avec mon ordinateur portable ou un bouquin.
Une image traversa l’esprit de Jason : Abe, installé sur un grand sofa, les cheveux lui tombant sur le visage, un mug fumant devant lui et un livre entre les mains.
— Ça a l’air sympa.
— Ça l’est. (Il pointa du doigt vers un immeuble juste devant eux.) On y est. Immeuble C.
Jason entra dans la résidence, se gara devant l’immeuble et éteignit le moteur. Pour la première fois depuis aussi longtemps qu’il se souvienne, il se sentait légèrement nerveux à l’idée de coucher avec quelqu’un. Bien qu’il n’eût rien révélé à son sujet et qu’il ne sût pas grand chose à propos d’Abe, il n’avait plus l’impression qu’il s’agissait d’un simple inconnu. La dernière fois qu’il avait couché avec quelqu’un qu’il « connaissait », dans n’importe quel sens du terme, il était marié et tentait de se convaincre lui-même ainsi que sa femme qu’il était heureux de l’être.
— C’est un peu bizarre, tu trouves pas ? demanda Abe.
Ils étaient assis en silence dans la voiture.
— Non, lui assura Jason, tentant également de s’en persuader lui-même.
C’était du sexe. Un besoin physique basique. Dedans, dehors et c’est fini. Il ne jurait que par cette devise, qu’il suivait religieusement. Le fait que cette situation paraisse légèrement plus bizarre qu’à l’accoutumée était sûrement dû au fait qu’il était sobre. Il se promit de ne plus jamais draguer un type avant d’avoir bu quelques verres. Une fois cette décision prise, Jason saisit la poignée de la porte.
— Prêt ?
Abe le contempla à nouveau en silence. Jason s’efforça de ne pas gigoter sous son regard inquisiteur.
— Tu es très séduisant, dit Abe.
Ne sachant pas trop ce qu’il était censé répondre, Jason opta pour la simplicité :
— Merci.
Comme Abe continuait de le fixer sans rien dire et ne fit aucun mouvement pour sortir de la voiture, Jason ajouta :
— C’est une bonne chose, pas vrai ?
— Oui, acquiesça Abe. Mais ce n’est pas pour ça que j’ai voulu t’emmener chez moi.
Avant que Jason ne puisse décider s’il allait creuser le sujet, Abe lui sourit largement et reprit :
— Mais c’est sûr que ça aide. Allez, viens.
Il ouvrit la portière et sortit du véhicule. Il n’était pas trop tard pour partir. Jason aurait pu faire marche arrière, s’éloigner et soit se rendre dans un autre bar ou trouver quelqu’un qui voulait simplement baiser. Pas faire la conversation, rigoler ou sourire. Il avait trois applications sur son téléphone qui lui servaient exactement à ça. Mais il ne fit pas marche arrière et ne chercha pas son téléphone. Non, il sortit du véhicule, le verrouilla et suivit Abe dans son appartement.
— Sympa, comme endroit, dit Jason en entrant.
— J’ai pas encore allumé la lumière, répondit Abe en riant. On voit rien du tout. Les murs pourraient être fuchsia et recouverts de minuscules pois vert menthe, pour ce que tu en sais !
Jason se fichait des murs. Ce qui lui importait, c’était de déshabiller Abe. Le commentaire qu’il avait fait ne servait qu’à meubler le silence. Mais quand Abe se retourna et le serra brièvement dans ses bras pour rendre sa petite pique moins cinglante, Jason se surprit à lui sourire en retour et à répondre à l’étreinte.
— Et alors, je pourrais très bien aimer le fuchsia et le vert-menthe ! Peut-être que ce sont même mes couleurs favorites.
Plissant le nez, Abe se balança sur ses pieds jusqu’à se retrouver juste devant Jason. Leurs poitrines se touchèrent.
— Hmm. Ce sont tes couleurs favorites ? demanda-t-il en passant ses bras autour du cou de Jason. (Il se mit sur la pointe des pieds et embrassa la base de sa gorge.) J’aurais jamais deviné. Je pensais plus que tu serais du genre… murs beiges, chemises bleues.
Ses murs étaient effectivement beiges et la plupart de ses chemises bleues ! Lentement, Jason glissa ses bras autour de la taille d’Abe et lui donna un coup sur les fesses.
— Ah ! s’écria Abe en essayant de s’écarter.
Le retenant, Jason dit :
— Tu fais moins le malin là, hein ?
— Je savais pas que c’était un sujet sensible…
Abe s’essouffla en tentant à nouveau de lui échapper. Jason lui pinça encore une fois les fesses, pour le fun, puis une nouvelle fois, car il aimait ça.
— Je ne dirai jamais rien, dit Abe. Je te le promets. Ton secret est en sécurité avec moi.
— Tu te moques de moi ? demanda Jason, qui, à sa plus grande surprise, appréciait leur interaction. Car ça me paraît être une idée vraiment terrible. (Il enfonça ses doigts dans les côtes d’Abe.) Tu sais quoi ? Juste pour te montrer que je suis un type bien, je vais te laisser une avance de soixante secondes pour aller dans ta chambre. Si tu réussis à te déshabiller avant que j’arrive, je te pardonnerai.
— Quel gentleman, souffla Abe.
— Je suis quasi certain que tu ne diras pas ça quand tu sauras ce que je te réserve une fois que je t’aurai attrapé. (Il lui fit un clin d’œil et recula d’un pas.) C’est parti. Vas-y !
Riant, Abe pivota sur ses talons. Jason parvint à lui asséner une grosse tape sur les fesses avant qu’il ne s’échappe.
— C’est de la triche ! protesta-t-il en courant hors de la pièce.
— Nan… dit Jason, déboutonnant sa chemise et se précipitant à ses trousses. Ce serait de la triche si je t’avais laissé moins de soixante secondes.
Il toqua à la porte ouverte de la chambre à coucher d’Abe et pénétra dans la pièce. Abe était allongé sur le dos, sur son lit, encore habillé, en train de se débarrasser de ses chaussures sans les mains.
— Ça fait pas une minute ! s’écria Abe entre deux halètements.
Bien qu’il sourît largement, il y avait une note de fatigue dans sa voix et sa poitrine se soulevait et se baissait rapidement.
— Ça va ? demanda Jason en s’approchant du lit.
Il ôta ses propres chaussures et grimpa sur le matelas, à côté d’Abe, avant de poser la paume de sa main sur le torse fin de ce dernier pour sentir son cœur.
— Ça va. Mon asthme se déclenche par ce temps et c’était une longue journée et… (Il baissa le regard et rougit.) Tu m’as plus ou moins excité quand tu m’as touché. (Il se lécha les lèvres.) Je suis vraiment nerveux.
Bon sang. Abe était adorable. Jeune et adorable. Jason se sentit soudain coupable d’être ici. Ce qu’il voulait, c’était coucher avec des mecs qui savaient à quoi s’attendre. Il ne voulait pas d’implications émotionnelles, que ce soit pour lui ou pour les hommes qu’il baisait.
— Ne pars pas, lui dit Abe, qui était visiblement doué pour interpréter le langage du corps et les expressions faciales. Je veux qu’on le fasse. (Il posa sa petite main sur celle de Jason.) Je te veux. Laisse-moi juste chercher mon inhalateur. J’en ai un dans ma table de nuit.
Jason s’écarta pendant qu’Abe récupérait son inhalateur. Une fois qu’il l’eût trouvé, il l’actionna et prit une rapide inspiration.
— Ça va mieux ? demanda Jason.
— Oui, répondit Abe en hochant la tête.
Jason observa la poitrine d’Abe se soulever et se baisser pendant quelques secondes, jusqu’à ce qu’il se fût calmé. Une fois que sa respiration devînt plus régulière, Jason posa sa main sur le cœur d’Abe et remarqua l’érection de ce dernier dans son pantalon. Son propre entre-jambe réagit de la même façon. Abe avait dit que ça allait mieux. Un oui était un oui et Jason était bien trop excité pour s’en aller maintenant. Il défit ses boutons de manchettes et retira sa chemise.
— Déshabille-toi, ordonna-t-il.
Acquiesçant, Abe se plia légèrement, attrapa les pans de son T-shirt et tira dessus pour l’ôter. Il s’allongea, déboutonna son jean, arqua le dos et se débarrassa de son pantalon ainsi que de son slip, qui glissèrent le long de ses hanches étroites et de ses jambes.
— Tu as un très beau corps, dit Jason, savourant la vue de sa peau lisse et pâle et de ses membres souples.
La queue d’Abe était différente de la sienne : plus claire, pas aussi épaisse ou longue et dépourvue de veines proéminentes. Jason la prit en main, appréciant son poids et sa tiédeur contre sa paume.
— Et une très belle bite, ajouta-t-il.
Abe resta allongé, laissant Jason le toucher et explorer son corps. Un duvet clair recouvrait ses bourses rondes et bien fermes. Baissant la tête, Jason leur donna un coup de langue, appréciant leur texture ridée.
— Oh, mon Dieu, sursauta Abe. Va falloir ralentir. C’est trop bon.
Jason eut un sourire fier en entendant qu’Abe était déjà au bord de l’extase. Il promena ses mains le long de ses jambes et lui ôta ses chaussettes.
— Tu vas me dire que tu ne peux pas bander après avoir joui une fois, à ton âge ? (Il descendit du lit, retira ses propres chaussettes, puis son pantalon et sous-vêtement échouèrent par terre.) D’ailleurs, tu as quel âge ?
Comme Abe ne répondit pas, Jason leva le regard vers lui. Ses yeux bleus étaient fixés sur sa queue et ses lèvres rouges entrouvertes. Seule une personne dépourvue d’égo pourrait rester indifférente devant une telle expression admirative et Jason ne manquait pas de fierté, d’après les gens autour de lui. Il ne lui manquait rien non plus sous la ceinture, ce qui semblait plaire énormément à Abe.
— Abe ?
Sans lever les yeux, Abe s’humecta les lèvres.
— Ouais ?
Jason grimpa à nouveau sur le lit en ricanant et se déplaça à quatre pattes jusqu’à ce que son érection soit à quelques centimètres du visage d’Abe.
— Tu comptes répondre à ma question ?
— Question ? répéta Abe en clignant des yeux, levant enfin le regard vers lui. Oh, euh, j’ai 26 ans. (Lentement, il tendit la main et la referma autour de la queue de Jason.) Bon sang… (Il hocha la tête.) Et, ouais, je peux bander après avoir joui.
Ce contact révérencieux et tendre ôta toute pensée de l’esprit de Jason. Il ne pensait plus qu’à jouir.
— Tu veux me sucer ? dit-il. (Il saisit la base de son membre, posa une main sur le matelas et se baissa pour se rapprocher de la bouche d’Abe, peignant ses lèvres avec son gland.) Vas-y.
Gémissant, Abe lui ouvrit le passage et Jason se glissa à l’intérieur. Il bougea lentement, conscient que sa circonférence n’était pas facile à prendre en bouche mais Abe n’hésita pas. Il laissa Jason décider du rythme, gémissant de plaisir à mesure qu’il s’enfonçait dans sa gorge, parvenant même à donner quelques coups de langues sur la peau brûlante de Jason.
— Seigneur… c’est si bon, dit ce dernier d’une voix éraillée.
Il lâcha sa queue et l’enfonça plus profondément dans la bouche chaude et humide d’Abe, s’arrêtant lorsque celui-ci eut un haut-le-cœur. Étonnamment, Abe ne le repoussa pas. Il s’agrippa aux hanches de Jason et se tint à lui pendant qu’il faisait des va-et-vient, encore et encore. Après quelques minutes, Abe poussa un gémissement, qui semblait plus exprimer son excitation qu’une quelconque douleur.
— C’est tellement sexy que ça t’excite autant, dit Jason entre ses dents. Je vais bientôt jouir.
Abe arqua le dos et poussa un nouveau râle, attirant l’attention de Jason sur son membre gonflé. Il se retourna et d’un seul mouvement, s’enfonça plus profondément dans la bouche d’Abe tout en glissant la queue de ce dernier entre ses lèvres. Le corps fin sous lui se mit à bouger sauvagement, tremblant et gémissant, ses bras l’agrippant assez fort pour lui donner des bleus tandis qu’il le suçait avidement.
— Oh, soupira Jason lorsqu’il le sentit pré-éjaculer.
Il bougeait trop pour que Jason puisse avaler, donc il s’écarta avec regret.
— C’est ça, dit-il en le masturbant tout en continuant ses va-et-vient dans sa bouche. Donne-moi tout ce que tu as.
Quelques secondes plus tard, Abe se cambra et cria son plaisir autour de la bite de Jason en éjaculant dans sa main. L’odeur, le son et la vue de cette jolie queue libérant son jus fit grimper Jason aux rideaux. Il eut à peine le temps de se retirer et de commencer à éjaculer que l’orgasme le ravagea. Sa semence jaillit sur le menton, le cou et la poitrine d’Abe. Le plaisir sembla durer une éternité. Sa respiration s’interrompit et ses bourses lui faisaient mal lorsqu’il eut terminé d’éjaculer.
— Bon Dieu… dit-il en s’écroulant, une jambe sur la poitrine d’Abe et le visage collé à son ventre.
— Bien, dit Abe en lui tapotant la tête d’un geste fatigué.
Ignorant s’il s’agissait d’une question ou d’une déclaration, Jason répondit par un « mhm » avant d’embrasser la hanche d’Abe. Très bien. Bon sang !
— Il me faut de l’eau avant qu’on recommence, marmonna Jason après quelques minutes. (Il s’assit en soupirant et se tourna vers Abe.) Est-ce que tu veux… ?
Les paupières d’Abe étaient closes, ses lèvres légèrement étirées dans un sourire satisfait, ses cheveux ébouriffés et ses joues écarlates. Sa respiration était régulière et profonde. Il s’était déjà endormi. Jason n’allait sûrement pas le réveiller alors qu’il avait l’air aussi cosy.
Jason pressa le nez dans l’entrejambe d’Abe, inhalant son odeur excitante et la gravant dans sa mémoire, puis sortit du lit et rassembla ses vêtements. Il ne couchait jamais avec le même types plus d’une fois mais le joli blond lui donna presque envie de lui laisser son numéro. Presque.